Le goût du saké

Le goût du saké


Sous le ciel, le printemps est tout en fleurs.
Les cerisiers sont merveilleux.
Ici, je me sens distrait et songe au goût du « samma ».
Les fleurs de cerisiers sont fripées comme des chiffons.
Le saké est amer comme un insecte.

Dernier poème de Jasurirô Ozu, qu’il écrivit peu avant sa mort,
p 179 du livre de Max Teissier « Images du cinéma japonais« .

Ce poème me fait songer à La femme des sables, film fétiche de Glenn Gould, tourné en 1964 dans un noir et blanc somptueux par Hiroshi Teshigahara, d’après le roman éponyme de Kobo Abe.

J’ai une tendresse, et pourquoi ne pas l’avouer, une appétence particulière pour le saké. Le saké n’est pas cet alcool de sorgho, le mei kwei lu chew, très alcoolisé (40 degrés à tout le moins) mais au reste parfumé, qu’on sert en digestif à la fin des repas vietnamiens, dans des verres minuscules qui ne dévoilent leur image grivoise, je ne vous fais pas un dessin, que lorsqu’ils sont pleins.

Le saké n’est pas distillé mais, comme le vin, c’est une boisson fermentée dont les ingrédients principaux sont des riz spécifiques, des eaux de sources très pures, et un champignon particulier qu’on appelle le Kôji. Sa teneur en alcool, contrairement à l’alcool de riz, est de 15 ou 16 degrés seulement.

La base de sa préparation aurait été élaborée au XIVe siècle à Nara, ville japonaise proche de Kyoto, envahie par les daims, c’est un détail, mais je me souviens avec émotion d’y avoir dégusté un saké que j’ai préféré parmi ceux qu’il m’a été donné de goûter.

Dans la fabrication du saké, l’enveloppe du riz (appréciée en cuisine pour l’obtention de l’umami) pourrait perturber le goût, raison pour laquelle on doit polir le grain, phase critique qui prend parfois 72 heures. Du riz faiblement poli donne un saké solide, structuré, profond, avec une saveur de riz; du riz hautement poli donne un goût plus net, léger, parfumé.

L’élaboration du saké est complexe. Le Kôji est le champignon (aspergillus oryzae) qui permet la transformation graduelle de l’amidon de riz en alcool. On commence par ensemencer ce champignon (culture des spores ou kôji-kin) sur du riz cuit (riz-kôji ou kôji-mai). Cette phase cruciale dure 48 à 72 heures. Puis on mélange le kôji-mai à l’eau de source pour obtenir le shubo (mère du saké). La fermentation traditionnelle (kimoto ou yamahai) prend un mois, mais une fermentation accélérée (sukojô moto) a été mise au point, en ajoutant d’emblée des ferments lactiques et des levures sélectionnées. Dans une grande cuve, on mélange ensuite shubo, riz cuit à la vapeur à nouveau et eau de source pour obtenir le moromi ou phase de fermentation principale. Le mélange est brassé régulièrement et cette phase dure de 20 à 45 jours.

Le saké est pressuré après la fermentation. Le produit résiduel issu du pressurage est appelé sakékasu, très populaire au Japon. Le saké peut être pasteurisé deux fois, après la fermentation et après la mise en bouteille, mais il existe des sakés « crus » (namazaké ou namagenshu).

Si le saké n’est élaboré qu’à partir de riz et d’eau, il est appelé junmai. On ajoute parfois un peu d’alcool, pour moduler la saveur finale dans les sakés ginjô ou daiginjô. La plupart des sakés sont filtrés, mais certains ne le sont pas, comme à l’origine. On les appelle sakés Nigori ou « nuageux ».

Ainsi, le goût subtil d’un saké dépend du riz utilisé, de son degré de polissage, de la pureté de l’eau, des ferments qui ont participé à son élaboration, du temps consacré et de l’expérience du maitre brasseur (Tôji).

On peut le déguster seul, chaud (30 à 55 degrés), tempéré ou froid (5 à 15 degrés), mais aussi en accompagnement de certains mets, japonais ou non.

Cet article doit toute sa substance au magnifique livre « Le guide du saké en France » d’Adrienne Natsumi Saulnier Blache et Ryoko Sekiguchi dont je me suis beaucoup inspiré et que je vous recommande. Il présente 100 sakés d’artisans japonais (ça me fait penser à 100 vues du mont Fuji de Dazaï Ozamu) en fiches magnifiquement illustrées.

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