Mort imminente

Mort imminente

Un article terriblement intéressant des docteurs Mashour et collaborateurs, « Consciousness and the Dying Brain » vient d’être publié en accès libre dans la prestigieuse revue américaine Anesthesiology.

Il aborde un sujet passionnant qui m’intrigue depuis longtemps, d’ailleurs évoqué dans mon livre « kétamine« . Les expériences de mort imminente (NDE pour Near Death Experiences) ont été popularisées au cinéma ou dans la littérature fantastique. Des phénomènes de conscience modifiée proches, les OBE (Out of Body Experiences), avaient été relatées en leur temps par Tuesday Lobsang Rampa qui parlait de « voyages dans l’astral ».

Ces expériences (on parle également de « transcendent recalled experiences« ), où le mourant a l’impression de traverser un tunnel qui l’amène vers une lumière éblouissante ou temps et espace sont abolis et ou il rencontre des proches disparus ou des entités célestes, ne sont pas spécifiques d’une culture ou d’une religion donnée et affectent potentiellement tous les êtres humains. Elles ont pour principal intérêt que ceux qui les ont éprouvées, une fois revenus à la vie « normale », sont beaucoup plus sereins vis à vis du passage ultérieur dans l’au-delà. Les expériences de conscience modifiée rapportées par certains malades auxquels j’avais administré de la kétamine me l’ont confirmé (un de mes patients m’a même rapporté une OBE, mais ça reste rare). C’est la raison pour laquelle les hallucinogènes (psilocybine, LSD ou kétamine) suscitent de nombreuses recherches, depuis quelques années, pour leur utilisation en soins palliatifs.

Mashour, MD, PhD, qui est un spécialiste reconnu des phénomènes de conscience, travaille au département d’anesthésiologie mais surtout au Center for Consciousness Science de l’université du Michigan à Ann Arbor, la patrie de naissance de la kétamine. Rejetant toute explication « non neurobiologique » (sic), il nous rappelle que 5 à 20% des survivants d’arrêts cardiaques rapportent une NDE.

La science de la conscience (et non le « science sans conscience » de Rabelais) a émergé dans les années 90. La conscience apparait comme une intégration d’information, dont on connait actuellement l’implication du thalamus, et d’un vaste réseau cortical se réverbérant entre le cortex préfrontal et les zones postérieures du cerveau. Mashour nous explique que la mort cérébrale est parfois précédée, chez l’homme et chez l’animal, d’un « electrical surge« , c’est à dire une bouffée d’activité électrique cérébrale dont certaines sont compatibles (expérimentalement) avec une activité consciente. Curieusement, ce sont des bouffées d’ondes bêta et gamma, dont on sait qu’elles sont également élicitées par la kétamine.

Le cerveau a continuellement besoin de glucose et d’oxygène pour maintenir le gradient électrique de ses presque 200 milliards de cellules (neurones et astrocytes). L’hypoxie qui précède le décès (par baisse de la respiration ou de la pression artérielle), mais aussi l’hypoglycémie, pourraient activer certains récepteurs cérébraux (sur lesquelles agissent également les hallucinogènes, dont la kétamine), qui seraient mis en jeu par la libération in articulo mortis de molécules appelées endopsychosines.

J’ai pensé qu’on pourrait imaginer que les grand mystiques recherchent l’ascèse et le jeune car ils favorisent les hypoglycémies, ce qui représenterait une explication « neurobiologique » à leurs extases. Mais l’interprétation qu’on donne à ces phénomènes nous ramène au paradoxe de Newcomb, que j’évoquais récemment.

L’image qui illustre mon propos, « Ascent of the Blessed » est de Hieronymus Bosch (1505 -1515).

Share Button