La neuvième porte

La neuvième porte

1666, l’imprimeur vénitien Aristide Torchia est brulé vif par le Saint-Office pour avoir édité « le livre des neuf portes du royaume des ombres » un viatique permettant aux initiés d’invoquer le démon. Le livre reproduit 9 gravures d’un ouvrage maudit, le Delomelanicon que la tradition attribue à la main de Lucifer lui-même…

De nos jours, Lucas Borso, « chasseur de livres », est un mercenaire au service de clients hautement sélectionnés – richissimes – dont la perversion ultime est la bibliophilie : des « aristocrates de l’incunable ». Il est chargé par Varo Borja, un grand libraire portugais qui détient un exemplaire des neuf portes, de savoir si le livre en sa possession, relié en peau noire et orné d’un pentacle doré, est authentique, car on n’en connait que trois exemplaires au monde.

Lucas, quadragénaire attendrissant hanté par ses propres démons, est doté d’une mémoire prodigieuse, d’une ruse et d’une ténacité dignes d’un d’Artagnan. Sa perversion à lui est de rejouer dans sa chambre solitaire la bataille de Waterloo sur des cartes au cinq millièmes.

Dans son style inimitable, labyrinthique et superbement érudit, Arturo Perez Reverte, l’auteur génial du « tableau du maitre flamand » et du « peintre de batailles » nous livre avec « le club Dumas » un roman ésotérique dont les énigmes nous embarquent dans une quête haletante quelque part entre l’action des « trois mousquetaires » et l’occultisme du « nom de la rose ». Les protagonistes en sont des manuscrits magiques vieux de plusieurs siècles, comme la Hypnerotomachia di poliphilo de Colonna, De spectris et apparitionibus de Juan Rivio, la Summa diabolica de Benedicto Casiano. Seul manque à l’appel on dirait, le Necronomicon d’Abdul al Azred… Entre magie noire, tarots, cabale, alchimie et symboles, on retrouve le gout du « château des destins croisés » d’Italo Calvino.

On y apprend au passage (de la bouche du libraire Boris Balkan) comment Alexandre Dumas, terrible jouisseur qui finit sans le sou, employait des « nègres » pour sa puissante entreprise littéraire et que celui des trois mousquetaires, dont les chapitres étaient livrés sous forme de feuilletons « à suivre », s’appelait Auguste Maquet. Comment d’étranges faussaires, esthètes amoureux de leur art, peuvent remplacer n’importe quelle partie d’un manuscrit ancien. Et que le sceau de Saturne est le plus ancien des carrés magiques qui enserre les neuf premiers nombres de façon à ce que la somme de toutes les rangées, verticales, horizontales ou diagonales donne 15, dont la numérologie nous dit qu’il s’agit aussi du nombre de la bête.

Entre action, mystère et introspection, « le club Dumas » se dévore du début à la fin. Comme celui d’Umberto Ecco, ce roman extraordinaire a donné lieu au tournage d’un film fascinant, « la neuvième porte », de Roman Polanski, et dans le livre comme dans le film, c’est finalement l’amour, et ses troublants yeux verts, qui aura le mot de la fin.  

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