De la chloroquine comme traitement miracle du Covid-19
En ce moment surréaliste où on ne sait plus si la réalité est un cauchemar issu de l’imagination d’un auteur de science-fiction et où les média égrènent en boucle la longue litanie des décès quotidiens imputables à un virus inconnu il y a quelques mois à peine, la tentation est grande d’accorder une foi immédiate et aveugle à la première annonce d’un traitement efficace.
Plus étonnant, cette annonce divise la communauté médicale elle-même et je vois mes confrères prêts à s’écharper au sujet de l’efficacité ou non de l’hydroxychloroquine vis-à-vis du Covid-19, comme jadis les petit-boutiens et les gros-boutiens dans l’univers imaginé par Jonathan Swift.
L’équipe du professeur Didier Raoult, qui exerce à Marseille, a publié le 20 mars 2020 un article dont le résultat, relayé à grand renfort de média, a fait l’effet d’une bombe dans une opinion pétrifiée par la contemplation désolante des morts qui s’accumulent exponentiellement et des dégâts économiques dont on nous dit qu’ils rappellent la crise de 1929.
Pourquoi faut-il être nuancé ? Ou tout au moins, prudent…
S’il est exact que ces premiers résultats, extrêmement partiels, doivent impérativement motiver (et c’est ce qu’il se passe) la mise en route en urgence d’études scientifiquement valides, les tenir pour acquis serait à mon avis une erreur.
Si l’on scrute à la loupe les travaux publiés sur les effets potentiels de la chloroquine sur l’épidémie en cours on est frappé par la paucité des publications. Une seule étude clinique (sur des malades et non « in vitro », dans les éprouvettes) est accessible sur la grande base de données médicales PubMed où sont répertoriés les travaux publiés dans des revues indexées, on dira « sérieuses » pour vulgariser le terme. C’est celle du Pr. Raoult.
Cette étude est publiée dans la revue International Journal of Antimicrobial Agents qui n’a visiblement pas le crible des revues prestigieuses (et terriblement difficiles d’accès car soumises à un contrôle de qualité drastique) que sont le New England Journal of Medicine, le Lancet ou encore la revue américaine JAMA (encore qu’on puisse en discuter, le NEJM venant de publier une étude, non randomisée, dont l’effectif est tout sauf impressionnant). On note au passage que le rédacteur en chef de la revue, ainsi que deux membres du comité de lecture sont co-auteurs de l’article. Mais bon…
Toutefois, les résultats sont saisissants.
L’étude compare deux groupes de patients, 20 patients qui reçoivent de l’hydroxychloroquine (200 mg trois fois par jour pendant 10 jours), et 16 sujets qui n’en reçoivent pas. Les malades sont comparés pendant 6 jours, et la disparition du virus de leurs voies respiratoires supérieures est considérée comme le critère d’efficacité. J’ai refait toutes les statistiques qui s’avèrent dans l’ensemble justes, et on obtient une présentation des résultats qui paraît sans appel : à J6, 70% des patients du groupe chloroquine sont débarrassés du virus, contre seulement 12,5% des patients dits « contrôles ». Bien plus, 100% des patients du groupe chloroquine, qui ont également reçu un antibiotique, l’azithromycine, sont débarrassés du virus.
Pourquoi ces résultats qui semblent magiques doivent être pris avec un certain recul
Tout d’abord l’étude publiée, conçue initialement pour une durée d’observation de 14 jours, a enrôlé extrêmement peu de malades et lorsque le Pr Raoult parle de 100% de clairance virale dans le groupe hydroxychloroquine + azithromycine, il ne s’agit que de 6 patients. A mettre en perspective avec les plus de 100 000 décès imputables au virus dans le monde. Les statistiques effectuées sont justes, ou presque, car pour effectuer un test du Chi2, il a fallu regrouper deux catégories du tableau présenté dans l’étude, tant les effectifs sont faibles, ce qui n’est pas précisé dans le texte.
Mais le défaut méthodologique majeur de cette étude est l’absence de tirage au sort (randomisation). Les deux groupes ne sont pas du tout comparables car issus de deux populations différentes, et donc susceptibles d’évoluer spontanément différemment. En effet, les patients du soi-disant groupe contrôle sont soit des patients qui ont refusé de prendre le traitement, soit des patients qui avaient une contre-indication à la prise du dit-traitement, soit, plus ennuyeux, des patients d’autres centres que Marseille.
On sait par ailleurs que l’insuffisance respiratoire peut décompenser au-delà de la première semaine des symptômes. Il est donc dommage que l’étude s’arrête aussi rapidement. Curieusement, parmi les patients exclus de l’analyse du groupe hydroxychloroquine, trois ont été transférés en réanimation, dont l’un va décéder.
D’autres points méritent qu’on se pose quelques questions
Les études cliniques chinoises citée en référence par le Pr Raoult ne sont pas accessibles. La référence citée renvoie à un article chinois qui ne fait que citer à son tour des études en cours non publiées, dont on n’a donc pas les résultats. Une autre étude chinoise randomisée cette fois, celle de Chen et al. est accessible sur le site MedRXiv (MedArchive !) , un site spécialisé dans la mise en ligne de travaux achevés mais non publiés. Le site avertit clairement qu’il s’agit d’un travail qui n’est pas passé par le « peer reviewing » c’est-à-dire par la relecture critique d’un comité d’experts. L’article, basé sur le tirage au sort de 62 patients est extrêmement court et particulièrement flou. On n’a accès à aucune donnée factuelle. Les auteurs rapportent l’amélioration de 80% des radiographies pulmonaires sous hydroxychloroquine, vs. 55% dans le groupe contrôle. Là encore, la durée d’observation clinique est inférieure à une semaine, aucune donnée n’est vérifiable, les références citées ne pointent vers aucune étude clinique.
Au total, force est d’admettre qu’à l’heure où j’écris ces lignes, les données sur l’amélioration de la symptomatologie imputable au Covid-19 par l’hydroxychloroquine sont extrêmement limitées. Une poignée de malades, des résultats virologiques ou radiographiques observés avant le cap de la première semaine, pas de résultats sur la mortalité ou simplement l’aggravation, des références cliniques qui pointent dans le vide.
Doit-on en conclure que l’hydroxychloroquine est peu ou pas efficace, voire dangereuse si elle était prescrite à grande échelle, ou pire si elle faisait l’objet d’automédication ? Bien entendu, non. Là encore il est urgent d’attendre le résultat (prochain) des grandes études randomisées en cours, notamment en Europe. Certains de mes confrères souhaiteraient que le médicament puisse néanmoins rester prescrit de façon encadrée jusqu’au résultat des dites études.
La vraie question qu’on est en droit de se poser c’est pour quelle raison le Pr Raoult, chercheur reconnu quoique controversé, qui a à sa disposition (si on peut dire) des centaines de malades du Covid-19, refuse de réaliser une étude scientifique avec un « vrai » groupe contrôle, pourquoi aucune étude chinoise n’est publiée à ce jour, et pourquoi les études en cours en Europe n’ont pas encore donné de résultat intermédiaire positif ? (il semblerait que l’étude Discovery peine à recruter car les patients refusent d’être tirés au sort, ce qui montre à quel point la publicité prématurée faite autour de l’étude marseillaise a obscurci le débat).
Dans quelques semaines, quand la poussière sera retombée, nous saurons si le Pr Raoult chevauche un étalon ou une haridelle (c’est l’image qui fut utilisée il y a 25 ans, quand nous réalisions des études randomisées sur la clonidine), mais n’oublions pas que la chloroquine s’était révélée active « in vitro » sur la grippe, le VIH le chikungunya ou le virus du SRAS, et qu’aucune découverte n’a finalement débouché sur un médicament efficace.
Dans cette attente, il est plus que jamais urgent de nous couvrir de masques et de laver nos mains, en priant qu’un vaccin voie le jour.