Car aux lignées condamnées à cent ans de solitude, il n’était pas donné sur terre de seconde chance.
Posté le 01 Mai 2014
C’est ainsi que se termine l’immense saga des Buendia et qu’il me faut honorer ma promesse de fournir un arbre généalogique des dix générations qui la composent.
Au travers de ce siècle dont les piliers homériques sont l’indomptable et lucide Ursula et Pilar Ternera, dont Gabo nous raconte qu’elle vécut au moins 140 ans et que six hommes furent nécessaires pour la descendre, assise, dans la tombe, le sang des Buendia, comme le temps « circulaire » du roman, n’en finit de tourner et de s’entrecroiser, à la recherche de lui-même au travers d’amours alambiquées et incestueuses entre des êtres qui ignorent leur filiation et au sein desquelles les deux lignées, celle des Aureliano et celle des Arcadio, se croisent aux deux sens du terme, comme les serpents du caducée, dans un interminable, contemplatif et complémentaire face à face.
Comme le craignait Ursula après le meurtre de Prudencio Aguilar dès les premières pages du roman, l’inéluctable finit par advenir, et de l’irrémédiable mélange de ces sang identiques nait la figure mythique de l’iguane, l’hybride à queue de cochon, qui signe la disparition de la dynastie et la réalisation des prophéties de Melquiades, le gitan dont l’ombre tutélaire rode au travers du siècle, centre secret de la maisonnée, qui dialogue inlassablement avec José Arcadio Buendia enchainé à son arbre, comme Prométhée jadis à son rocher et qui inspirera tous les Aureliano dans leur destin fatal.
Les hommes meurent, les femmes s’assèchent dans la solitude. Fatalité qui s’attache à tous les personnages, à l’exception des figures lumineuses des Remedios, la « petite » Remedios Moscote dont le daguerréotype, préservé par Ursula du cœur desséché du colonel, éclaire d’une douce lumière la maison familiale tout au long de ce siècle et de celle de Remedios la Belle, être indubitablement pur et libéré de ses attaches terrestres qui connait une fin séraphique… Les hommes ont des destins le plus souvent sanglants, ainsi les 17 fils du colonel dont pas un ne survit, les Arcadio assassinés pour certains, fusillés pour d’autres. L’indéracinable patriarche, José Arcadio Buendia lui même, s’égare un jour dans les dédales de sa folie. Quant aux hommes qui ont le malheur de se brûler les ailes à l’amour d’une Buendia, ils n’ont guère plus de chance : Pietro Crespi se tranche les veines dans un bain de benjoin et les deux femmes qui se le sont disputé, Rebecca et Amaranta , s’étiolent de l’assèchement de leur cœur; Mauricio Babylonia et les papillons jaunes qui annoncent sa venue connaissent aussi un destin tragique, alors que Meme est condamnée au couvent à perpétuité pour l’amour qu’elle lui a porté.
Ce seront les fourmis rouges contre lesquelles Ursula se battit tout au long de sa vie, qui remporteront ultimement la mise.