You’re just a brick in the wall…
Depuis le 14 mai et jusqu’au 30 août, Paris accueille à la porte de Versailles la fantastique exposition de Nathan Sawaya : « The Art of the Brick ».
Cet ancien juriste américain, employé un temps chez Légo, est devenu un incroyable sculpteur qui utilise la petite brique de plastique inventée par Kirk Kristiansen en 1932 comme une matière dont les formes et la couleur se plient à ses volontés au travers d’une magie fascinante. L’entreprise familiale danoise, elle, est devenue un groupe qui vend désormais des briques dans plus de 130 pays.
Nathan Sawaya n’utilise pas ses légo comme les mortels que nous sommes, pour inventer ou reproduire créations architecturales et véhicules mythiques, à coup d’essais, d’improvisations et de droit au remord.
Il façonne la brique comme une matière glaise qu’il élève d’une pièce et colle au fur et à mesure, sans se préoccuper apparemment d’un possible retour en arrière. Cette habileté lui a-t elle été conférée par les millions de manipulations par lesquelles il a laissé son art le transformer, ou est-ce d’emblée le génie qui le traverse, comme semble en témoigner sa sculpture la plus célèbre, Yellow ?
Toujours-est-il que l’artiste ne joue pas sur les seules trois dimensions de l’espace, mais y mêle une quatrième, faite non de temps mais de lumière : c’est l’éclairage, réglé chirurgicalement, qui au travers des ombres portées par les parallélépipèdes, restitue des expressions humaines et tout une atmosphère intime et chargée d’émotion.
Les sculptures, parfois monumentales, expriment la transcendance, l’amour, mais aussi l’inquiétude, le désespoir, le passage du temps, l’émiettement de la personnalité, la lutte avec l’ange, comme cet humain qui repousse désespérément le mur dont il est lui-même le prolongement. Une statue de taille humaine décolle son visage comme le masque dont nous recouvrons notre personnalité enfouie, l’artiste ouvre sa propre poitrine dont jaillissent des entrailles de Légo, un corps s’émiette dans le vent et la vitesse, un autre s’ouvre sur un escalier qu’un autre encore gravit.
Nathan Suwaya joue avec les symboles, crée des illusions d’optique, fabrique des nuages, incorpore des objets de la vie quotidienne, comme une paire de tongs ou un chiffon pendu à un crochet, produit un immense squelette de dinosaure, pixélise l’espace et les œuvres d’artistes comme Klimt, Munch, Léonard de Vinci, Rodin, mais aussi des photographies de personnalités modernes.
Selon l’angle de vision, la distance par rapport à l’œuvre, si on cligne ou non les paupières, c’est un monde onirique qui se dévoile : de loin apparait la Joconde, un œil s’ouvre quand on passe devant un groupe de personnages qui marchent dans une gare, de près, la paume d’une main gigantesque se transforme en une cité lovecraftienne perchée sur les pentes d’un abime.
Au terme d’une déambulation de plus d’une heure qui rappelle le poème de Baudelaire (La nature est un temple ou de vivants piliers…) on reste bouleversé par la magie qui émane de l’inconscient de l’artiste et va bien au delà de la représentation du monde visible.