Les frères Morozov à Paris

Les frères Morozov à Paris

Dostoïevski a eu ses frères Karamazov, Jacques de Loustal ses frères Adamov, c’est actuellement la fondation Vuitton qui expose la collection des frères Morozov à Paris.

Ce ne sont pas moins de 47 peintres, parmi lesquels Picasso, Gauguin, Van Gogh, Monet, Renoir, Cézanne, Matisse, Toulouze – Lautrec ou d’autres, notamment russes, qui y sont exposés, dans la fantastique collection que deux industriels, Yvan et Mikhaïl Morozov, mécènes éclairés, ont constitué au début du XXe siècle à Moscou.

On y admire les regards fascinants des membres de la dynastie dont les peintres russes qui gravitaient dans le cercle des deux frères firent les portraits.

La collection comprend deux Picasso du début, aussi expressifs l’un que l’autre, témoignant d’un sens extraordinaire de la composition. Les regards perpendiculaires des deux personnages attablés, le contraste entre l’hercule massif, carré et brun (assis sur un cube) qui occupe les trois quarts de la toile et la nymphe bleutée (en équilibre sur une sphère) dont la silhouette gracile dessine un « S » dans l’espace.

Des Monet, parmi lesquels la lumière d’un après midi sur le Boulevard des Capucines ou le Waterloo Bridge dans le brouillard, qui fait bien entendu penser à Impression, soleil levant, la toile de Monet à l’origine du nom donné au mouvement, initialement attribué comme sobriquet péjoratif.

Les Gauguin, aplats colorés soulignés d’un bord sombre, sont parmi mes préférés, et je ne désespère pas d’en faire une copie un de ces jours. Là encore, la composition suit la règle des tiers ou de la suite de Fibonacci …

Mais les Derain ne sont pas mal non plus, avec leurs couleurs vives (un des fauves) et leurs formes géométriques.

J’ai particulièrement apprécié cette toile d’Albert Marquet, qui rend en quelques coups de pinceaux cette atmosphère pluvieuse devant Notre Dame. On a le sentiment qu’on va glisser sur ce trottoir humide… fausse impression de simplicité : les dégradés sont extrêmement élaborés.

Les teintes éclatantes du fauvisme sont aussi un des sommets de l’exposition : natures mortes de Cézanne (qui n’est pas un fauve) et de Matisse (qui en est un, comme Albert Marquet et André Derain), celle à droite devant laquelle est représenté Yvan Morozov en 1910 (dans le portrait qui figure en exergue de ce texte).

et le triptyque marocain qui décline dans un camaïeu de trois bleus différents l’exotisme de la ville de Tanger.

Clou du spectacle, un Van Gogh méconnu, la ronde des prisonniers, est présenté isolé dans une pièce obscure que seul éclaire un rai de lumière sépulcral. L’atmosphère verdâtre et le cercle des prisonniers qu’on croirait émerger du néant en disent long sur le sentiment de solitude du peintre alors « emprisonné » dans l’asile psychiatrique de Saint-Rémy-de-Provence.

Évidemment, il faut faire des choix, et mon propos n’est pas de passer en revue l’immense collection Morozov, mais de vous en donner un aperçu gourmand. Pour ceux qui n’auront pas l’occasion de se rendre à la fondation Vuitton (dont l’extraordinaire et avant-gardiste architecture ne le cède en rien à celle du Guggenheim de Bilbao) vous partagerez un moment avec moi en admirant les toiles qui m’ont le plus marqué, et pour les chanceux qui y sont déjà passés, vous revivrez l’espace d’un instant ce ravissement que la peinture ne manque jamais ne susciter en nous.


Petits détails pratiques : le plus simple pour se rendre sur place est de descendre à la place de l’étoile (où l’arc est désormais déshabillé) et de prendre sur l’avenue de Friedland la navette de la fondation. Pour une marque de luxe, on aurait pu s’attendre à un carrosse, mais c’est plutôt une citrouille, enfin, elle vous emmène à bon port, c’est déjà pas si mal. Pour revenir, c’est une douce arnaque, on a préféré renter à pied au travers du bois de Boulogne.

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