Le congrès de futurologie

Le congrès de futurologie

Musardant dans une librairie, je suis tombé récemment sur le rayon consacré à Stanislas Lem, l’écrivain polonais disparu en 2006, dont le roman le plus connu, Solaris, fut porté à l’écran d’abord par Andreï Tarkovski en 1972 puis par Steven Soderbergh en 2002.

J’ai lu et adoré Solaris il y a plus de 40 ans, et révéré le film de Tarkovski, étrange, lent et nostalgique, rythmé par le choral en fa mineur de Bach.

Kris, Un astrophysicien hanté par le suicide de sa femme, est envoyé sur la station orbitale qui surplombe la planète-océan Solaris, où des événements inquiétants ont lieu après que l’océan solarien ait été soumis à un rayonnement. Arrivé sur place, il découvre le suicide de son ami Guibarian, et les deux autres scientifiques, Snaut et Sartorius, qui présentent les symptômes d’un délire paranoïaque. Le matin suivant, Kris découvre à son chevet son ancienne femme, Harray, morte depuis plusieurs années… Il ne va pas tarder à comprendre que les personnages qui hantent chacun des habitants de la station sont des créatures envoyées, à la suite de son irradiation, par l’océan plasmatique qu’on soupçonne être une gigantesque créature pensante. 

Envouté par ce roman qui m’avait à l’époque inspiré une toile, j’ai donc acquis un autre roman, tout aussi célèbre semble-t-il, de Lem : le congrès de futurologie.

Le ton n’est pas du tout le même, assez déroutant, rapide, caustique, parodique, une succession de phrases courtes et complètement déjantées. L’auteur, qui se rend à un congrès de futurologie dans un pays sud-américain imaginaire se trouve piégé au cœur d’un coup d’état. Gravement blessé, il est récupéré et congelé dans l’azote liquide dans l’espoir qu’un jour on pourrait le ramener à la vie.

Il émerge en 2039, dans un univers d’où a disparu la guerre et où tout le monde semble parfaitement heureux, sachant qu’à longueur de journée les 20 milliards d’habitants de la planète se gavent de comprimés psychodysleptiques. Comme dans 1984, est apparue une novlangue, qui rend tout incompréhensible pour le réanimé.

Ce roman un peu difficile à lire (par moment à déchiffrer tant la novlangue est omniprésente) est comme le cuirassé Potemkine ou Métropolis pour le cinéma : une source d’inspiration inépuisable à toute la science-fiction qui a suivi. On y retrouve les pilules colorées à choisir (Matrix), les injections d’hormones du bonheur (Equilibrium), l’idée que le monde n’est qu’une vaste hallucination collective (Matrix, encore), les chasses à courre aux robots défectueux (Artificial Intelligence)…

Écrit en 1976, ce roman visionnaire et sarcastique donne surtout à réfléchir à l’anticipation de la surpopulation mondiale, de la destruction de la nature, de la raréfaction des ressources, de la manipulation des foules, bref, une utopie qui, comme le meilleur des mondes, tourne à la dystopie dès qu’on retire la paire de lunettes roses dont on veut affubler notre regard.

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