Balade pharmacologique parmi les hallucinogènes
Depuis que je fus sollicité pour présenter en 2017 une conférence sur l’histoire du psychédélisme à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, et après avoir été qualifié de chamane dans une lettre des annales françaises d’anesthésie-réanimation, j’ai conçu un intérêt pour les psychodysleptiques et autres enthéogènes. Ces « drogues » n’ont pas seulement un intérêt anecdotique. Elles sont redécouvertes dans le contexte des soins palliatifs, où elles pourraient aider les patients à sauter le pas, si l’on peut dire.
(et je vous engage à lire cet article qui nous promène dans le summer of love, tournant de la contre-culture Hippie en 1967, les expériences psychédéliques des écrivains de la beat-generation et celles d’Aldous Huxley, Timothy Leary, John Lilly, ou de Karl Jansen, j’ai malheureusement oublié Alan Watts et Léonard Cohen qui consomma pas mal de LSD et comme il le confiait volontiers, de Prozac)
Le terme psychédélique (« qui donne accès à l’âme ») fut inventé en 1956 par le psychiatre Humphrey Osmond, dans un échange épistolaire avec Aldous Huxley. Les psychotropes d’origine végétale comme la mescaline du Peyotl ou la psilocybine des champignons hallucinogènes, le LSD, mais aussi la kétamine provoquent des hallucinations, des « voyages » oniriques qui vont jusqu’à l’extase : les OBE (out-of-body experiences) voire les NDE (Near-Death Experiences), qui parfois se transforment en « horror trip ».
Le mouvement psychédélique apparaît, comme le mouvement hippie, à partir des Sixties quand l’usage du LSD se répand sous l’impulsion du psychologue Timothy Leary (1920-1996) transformé par la consommation de champignons hallucinogènes lors d’un voyage au Mexique, d’Huxley qui écrit « Les Portes de la perception » et des écrivains de la Beat generation : Allen Ginsberg, Jack Kerouac, William S. Burroughs… Il culmine entre 1967 et 1969, époque du rock psychédélique (Jimi Hendrix, Pink Floyd…) et la fameuse chanson « Lucy in the Sky with Diamond » à laquelle les Beatles dénieront un sens caché.
Mescaline
La mescaline est le principe actif du peyotl, un cactus mexicain. Elle provoque des effets neurovégétatifs et des hallucinations visuelles aux couleurs vives et mouvantes. La perception du temps et de l’espace est altérée.
Psilocybine
La psilocybine est le composé actif des champignons hallucinogènes. C’est Hofmann qui isola en 1958 ce dérivé de la Tryptamine. Elle est actuellement étudiée, je l’écris plus haut, pour l’amélioration psychique des malades en phase terminale.
Robert Gordon Wasson (1898-1986) travaillait à la banque américaine JP Morgan. A l’origine de la révolution psychédélique, il publia à la recherche du champignon magique dans Life en 1957
LSD
Albert Hofmann, né en Suisse en 1906, travailla pour le groupe Sandoz sur les alcaloïdes de l’ergot. Il synthétise le LSD-25 à partir de l’acide lysergique en 1938 et l’expérimente sur lui-même en 1943. Il décrit la perception « d’un flot d’images fantastiques aux formes extraordinaires et aux couleurs intenses, comme vues à travers un kaléidoscope, alternant, variant, s’ouvrant et se fermant en cercles et en spirales. Il prédisait le potentiel thérapeutique de cette substance en psychiatrie.
John Cunningham Lilly (1915 – 2001) fut un membre important de cette contre-culture californienne. Enthousiaste touche-à-tout, il s’intéressait à la chimie, la physique nucléaire, l’informatique alors à ses débuts, la philosophie indouiste, la médecine et la psychanalyse. La lecture du meilleur des mondes d’Huxley, l’oriente en 1934 vers l’étude de la conscience de façon peu académique (isolation sensorielle, communication avec les dauphins …). Il s’intéresse aux liens entre pharmacologie et neurophysiologie et dans les années 60 expérimente des substances psychédéliques, publiant son expérience du LSD dans The Center of the Cyclone en 1972, de la kétamine dans The Scientist en 1978. Ses expériences sous kétamine le conduisirent à professer des théories bizarres parlant d’entités cosmiques cherchant à contrôler la terre et furent à l’origine du film de Ken Russel (1927 – 2011) Altered States en 1980. Lilly mourut à Los Angeles en 2001 à l’âge de 86 ans.
DiMéthylTryptamine
Certains chamanes amazoniens utilisent l’ayahuasca, un mélange de végétaux qui contient de la di-méthyl-tryptamine (DMT) et des inhibiteurs de la mono-amine-oxydase (IMAO).
Phencyclidine
En 1956, un chimiste de Parke-Davies, à Détroit dans le Michigan, Harold V. Maddox, synthétisa la phencyclidine ou PCP. En 1958, Graham Chen et Edward F. Domino montrèrent chez l’animal que le composé CI-395 (pour « investigation clinique ») procurait un état cataleptique et une analgésie puissante. La même année, Ferdinand E. Greifenstein (1915-1997) effectuait les premiers essais de la PCP chez l’homme, sous le nom de Sernyl. Cet anesthésique intraveineux de la famille des arylcycloalkylamines provoquait une hypertension et une stimulation respiratoire, avec conservation des réflexes cornéens et laryngés. Le nystagmus typique et l’analgésie annonçaient l’anesthésie procurée par la kétamine. Le problème est que 15% des malades déliraient tellement en postopératoire que le Sernyl fut finalement retiré de la commercialisation en 1965, alors que venait d’être synthétisée la kétamine qui allait la remplacer.
Kétamine
Décédé récemment, à 91 ans, Calvin Lee Stevens (1923 – 2014), consultant chez Parke-Davis, était professeur de chimie organique à la Wayne State University de Détroit. Il synthétisait des dérivés de la PCP que Chen et Duncan A. McCarthy testaient sur l’animal, en particulier le singe. Un de ces agents, synthétisé par Stevens en 1962, procurait une anesthésie qui paraissait bonne et surtout de courte durée d’action. Il fut choisi pour les essais chez l’homme et parce qu’il s’agissait d’une molécule comportant les fonctions cétone (ketone) et amine, fut baptisé « kétamine ».
Début 1964, Domino fut contacté par Parke-Davis pour étudier chez l’homme le « CI-581 ». Parce qu’il n’était pas anesthésiste, il fit appel à Guenter Corssen (1916 – 1990), ancien héros de guerre dans la Wehrmacht émigré aux États-Unis et devenu professeur d’anesthésie à l’université du Michigan. Corssen et Domino sont à l’origine de la première administration humaine de la kétamine, le 3 août 1964 à la Prison Jackson, dans l’état du Michigan. Les effets indésirables touchèrent un volontaire (parmi les prisonniers) sur trois qui décrivaient une sensation de flotter dans l’espace et des troubles de la perception.
Comme le rapporte Domino lui-même, ils eurent « de nombreuses discussions » sur le terme « schizophrénomimétique » qui aurait brisé l’avenir de la molécule et s’apprêtaient à introduire le terme « dreaming » pour décrire l’état anesthésique observé, lorsque Domino parla à son épouse Toni du fait que les sujets semblaient « dissociés » de leur environnement ; elle suggéra le terme « dissociatif » qui, comme on le sait, fit école.
Edward F Domino (1924-1921) est mort l’année dernière, à l’âge de 96 ans, à l’issue d’une vie passionnée.
Karl Jansen, psychiatre d’origine néo-zélandaise, débuta sa carrière à l’université d’Auckland par l’étude du cerveau. Admirateur de Leary, il s’intéressa à la nature de la réalité, à la kétamine et au récepteur NMDA, à la mescaline et à la psilocybine. Il obtint par la suite un PhD en pharmacologie clinique à l’université d’Oxford au Royaume Uni. A la suite d’une expérience personnelle il se pencha sur les NDE et les OBE induites par la kétamine, décrites dans son livre Ketamine : Dreams and Realities. Il parle d’états de « pure conscience, dépourvus de forme », de « voyages » aériens, de participation à une énergie cosmique (le fameux « K-Hole »). Il fut un pionnier de la ketamine psychedelic therapy (KPT) qui utilise la kétamine et les NDE dans le traitement des addictions et d’autres maladies mentales. Il qualifie la kétamine « d’enthéogène le plus intéressant qu’il ait jamais rencontré »…