Le bleu du caftan
Dans la médina de Salé, séparée de Rabat par l’oued Abou Regreg, Halim est un Maalem, un maître artisan, qui réalise des caftans traditionnels dans de somptueuses étoffes. Calme, patient, volontiers silencieux, surtout lorsqu’il se concentre sur les magnifiques ornementations qu’il brode à l’aide de fils d’or, il est marié à Mina, petite et maigre (on apprendra qu’elle est malade), qui n’a à l’occasion pas la langue dans sa poche. C’est elle qui répond à une cliente impatiente « mon mari est un maalem, pas une machine ». Ils ont un apprenti, Youssef, dont on voit qu’il se passionne, contrairement à ses prédécesseurs, pour cet art ancestral qui ne souffre pas l’approximation. Bientôt, cette triangulation qui véhicule les sentiments ambigus des protagonistes, devient troublante.
Le film de Maryam Touzani s’égrène lentement, au rythme des silences qui ponctuent des scènes à la photographie splendide (Virginie Surdej). Clairs-obscurs en éclairage naturel qui font songer aux tableaux intimistes de Vermeer, scènes de hammam embrumées de vapeur, étoffes amples et soyeuses aux coloris chatoyants, gros plans sur des détails de ces vêtements superbes, regards qui révèlent jusqu’aux désirs les moins avouables.
La lente élaboration du caftan, dont le maître révèle à une cliente qui voudrait l’acquérir que sa couleur n’est pas bleu-roi, mais bleu pétrole, cristallise toutes les tensions entre les trois personnages. L’amour inconditionnel, le mensonge pieux, la jalousie, la compréhension profonde, la compassion, le pardon, l’acceptation. Le fil d’or fait immanquablement penser à celui des Parques, qui tissent le destin. On comprend que la fin de cet interminable labeur, comme celui de Pénélope, signifiera l’acmé du drame, l’inévitable dénouement.
Le bleu du caftan, qui nous fait voyager dans la magie de la vie marocaine traditionnelle, est un délice dont on sort bouleversé.