Garry Winogrand au Jeu de Paume

 Pour un peu, on se demanderait si on mettrait en « favori »  ses clichés vaguement bancals et parfois un peu ternes. Au premier coup  d’œil seulement, car dans cette foisonnante rétrospective d’un  photographe glouton, trop tôt disparu (1928-1984), qui a laissé au monde  bien plus d’un million de clichés noir et blanc, on repère vite un talent forgé par des milliers d’heures d’observation au travers de la chambre obscure. Il ne pratiquait pas de recadrage,  conservant à la prise de vue instantanée, brute, instinctive, toute sa  puissance et sa fraicheur. Chaque détail de la réalité compte.
 Malgré son pessimisme d’entomologiste qui, par la lentille de son Leica,  percevait les humains comme des Sisyphe minuscules, cet homme exubérant  et drôle, qui allait sans timidité apparente au devant des autres, a  littéralement inventé la « street photography« . 
 Il voyait dans l’imbroglio grouillant de la vie un festin visuel et  disait volontiers qu’il cherchait à savoir «à quoi ressemblent les  choses quand elles sont photographiées». 
parfois c’est comme si le monde entier était une scène pour laquelle  j’ai acheté un ticket. Un grand spectacle, mais où rien ne se  produirait si je n’étais pas sur place avec mon appareil.
 Cette pêche miraculeuse rapproche la conception de Winogrand de la théorie quantique,  pour laquelle c’est l’acte d’observer qui accouche la réalité en la  tirant des limbes de l’incertitude. Où encore de la psychanalyse où  c’est la maïeutique analysant-analysé qui donne sens à ce qui resterait  sinon dans le domaine enfoui des symboles. 
 Organisée conjointement par le SFMOMA et la National Gallery of Art de  Washington, l’exposition réunit dans son espace lumineux un incroyable  ensemble d’images que Winogrand lui-même ne contempla jamais. A 56 ans,  percevant plus ou moins consciemment sa fin prochaine, il se consacra  corps et âme à une prise de vue boulimique, laissant derrière lui  plus  de 6000 bobines non développées enfermant pour le moins 250 000 images. 
 Et les tirages argentiques modernes ont été si bien réalisés, qu’ils  font regretter d’être passé, comme on dit, malgré toute sa magie, au  numérique… 
