En soi le désert

En soi le désert

Posté le 23 Février 2014

« Ce fut un matin de septembre que Giovanni Drogo, qui venait d’être promu officier, quitta la ville pour se rendre au fort Bastiani, sa première affectation. »

C’est ainsi que débute « le désert des tartares » de Dino Buzzati.

Lequel d’entre nous, janvier passé, ne s’est jamais exclamé « comment ? déjà ? » ? A peine les réjouissances du premier de l’an se sont-elles éteintes, que déjà février frappe à la porte. L’œuvre entière de Buzzati est pétrie de cette angoisse du temps qui, comme le disait Aragon, passe, passe, passe. 1959, mon année de naissance, tiens…

Drogo rejoint donc, fringant officier, sa première affectation. Il rêve de batailles et de gloire, et quitte la ville de son enfance, où ses amis et ses amours vont peu à peu l’oublier, sans savoir que le fort Bastiani, comme à tant d’autres avant lui, va voler son existence. De jours en jours, de semaines en semaines, les mois et les années s’égrènent, et passe Giovanni à côté de sa vie. Le désert des tartares, comme les autres officiers, le fascine et l’enterre. Loin de lui les lumières de la ville, les plaisirs futiles de la jeunesse, l’amour et la construction d’une vie, tout aussi dépourvue de sens, sans doute… Et l’attente de toute une vie, lorsqu’elle se concrétisera finalement en dépit de son improbabilité, lui échappera elle aussi en fin de compte : le destin lui volera encore ce dernier rêve.

L’horloge tourne, et on ne se baigne jamais dans le même fleuve, enseigne, de son côté Héraclite. Mais le temps, c’est aussi l’éternel retour. Ainsi Drogo, jeune lieutenant, aperçoit un officier plus âgé de l’autre côté de la vallée qui mène au fort. Des années plus tard, devenu commandant, il revit la même scène, mais cette fois, c’est lui-même qui tient le rôle de l’ainé.

Ce roman incomparable est une porte idéale sur cette œuvre, romans mais aussi foison de nouvelles fascinantes. Le temps est au cœur des obsessions de Dino Buzzati. Le temps qui s’étire, élastique, dans « les sept messagers« , le temps qui fait, en l’espace d’une seule nuit, blanchir la chevelure, le temps traitre de « un amour« , le temps qui s’efface comme si l’on n’avait jamais existé, le temps qui accélère jusqu’à fracasser les jeunes filles du bal des débutantes. Les personnages de Buzzati luttent sans cesse, comme Sisyphe, contre un adversaire aussi implacable que l’absurde kafkaien.

Dino Buzzati fut aussi peintre (lui même se revendiquait peintre avant d’être écrivain), dans un style surréaliste assez proche de celui de Giorgio de Chirico.

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