L’oiseau tempête
Lucy a fui la poisse qui colle à son physique ingrat, elle a fui le Yorkshire, le vent qui souffle de la mer du Nord, sa tripotée de frères qui ont passé une enfance à la persécuter. Lucy a atterri à Tokyo, où elle s’est fait un quotidien de souris grise qui vit de traductions du japonais vers l’anglais, du flou vers le précis dit-elle, de notices techniques. Au Japon, dont elle parle parfaitement la langue au point qu’elle pense autant en japonais qu’en anglais, elle se sent chez elle, à l’abri.
Dans cette existence un peu terne, que n’a pas déserté la malchance, débarque un jour Teiji, dont elle ignore le passé, Lucy s’apercevra qu’elle ignore jusqu’à son patronyme, que la seule chose qu’elle sait c’est que Teiji prend des photographies, qu’il illumine son quotidien et qu’il lui fait bien l’amour.
Hélas, au sein de ce nouvel équilibre arrive également Lily, qui pour le malheur de Lucy vient elle aussi du Yorkshire.
Construit comme un polar, l’oiseau tempête, récemment adapté au cinéma, est le premier roman de Susanna Jones qui, comme son héroïne, pense en japonais autant qu’en anglais. Elle nous emmène dans un Tokyo familier, nocturne, un Tokyo concret et rassurant, malgré les microséismes qui le parcourent quotidiennement. Au sein de cette ville tentaculaire, qui mêle gratte-ciels futuristes et ruelles obscures, Lucy erre dans le labyrinthe des photographies de Teiji, entre les démons du passé et ceux du présent qui se frayent un passage au travers de la carapace de solitude dans laquelle elle avait cru pouvoir être en sécurité.