Effet placebo
Un laboratoire confie des gélules toutes semblables à un médecin. Certaines contiennent un nouveau médicament, les autres un placebo. Le médecin administre les gélules à ses patients en notant soigneusement les effets observés. Effectivement, les symptômes de la plupart des malades qui reçoivent le nouveau traitement s’améliorent, alors que ceux des malades traités par le placebo stagnent ou même s’aggravent. Lorsque la boite de gélules est épuisée, le médecin contacte le laboratoire et lui rapporte fidèlement les résultats de ses expérimentations. Le laboratoire lui révèle alors que toutes les gélules contenaient du placebo.
Little Joe, récompensé du Prix d’Interprétation Féminine lors du dernier Festival de Cannes, me fait irrésistiblement penser à cette petite histoire, fictive bien entendu, car la législation des essais thérapeutiques est un peu moins simpliste.
Alice, mère divorcée, est une phytogénéticienne surdouée qui travaille chez Planthouse, une société spécialisée dans le développement de fleurs originales, génétiquement modifiées.
Elle conçoit une fleur étrange, rouge vif, réactive comme une sensitive, censée apporter rien moins que le bonheur à qui s’occupera soigneusement d’elle : il lui faudra l’arroser, la maintenir dans une ambiance particulièrement chaude et… lui parler ! Encouragée par ces bons traitements, elle délivrera alors chez ce jardinier d’amour un précurseur de l’hormone du bonheur : l’ocytocine.
Alice, workaholique dévouée corps et âme à sa créature, et malgré des visites régulières à sa psychanalyste, ne parvient pas à surmonter la culpabilité de ne pas accorder assez de temps à son fils unique, Joe, qui entre dans l’adolescence. Elle a alors l’impulsion révélatrice de baptiser sa fleur écarlate « little Joe », et s’arrange, en désaccord avec les procédures en vigueur dans l’entreprise, pour en dérober un plant et l’offrir à Joe, dont l’humeur lunatique l’inquiète.
Or, alors que les très nombreux plants de little Joe prospèrent dans les immenses serres de Planthouse, les autres fleurs dépérissent et les rapports sociaux au sein de l’entreprise se détériorent. La fleur du bonheur commence à séparer les individus en ceux qui s’en défient et les inconditionnels qui souhaitent booster sa culture en vue de la foire internationale qui approche.
Finalement le toutou du labo devient fou, sa propriétaire, dépressive chronique, tente de mettre fin à ses jours, et les rapports entre Alice et son plus proche collaborateur, dont elle éconduit inlassablement les tentatives de séduction, deviennent soudainement violents. Ce n’est guère mieux à la maison, où l’adolescent se rebelle.
Chacun se demande si le pollen de Little Joe, dont la modification génétique a été obtenue de façon pas très régulière, ne serait à l’origine d’une allergie inattendue ou même, de la dissémination d’un virus qui infecterait le cerveau humain.
Les moments forts du film sont rythmés par la musique fascinante du compositeur japonais, puisée dans le répertoire du théâtre No et qui distille à l’extrême l’inquiétante étrangeté instillée par la perfection glacée des images.
En fin de compte Little Joe, qui est présenté comme un film de science-fiction, aborde avec subtilité et une fausse évidence de multiples inquiétudes sociétales, comme les dangers de la manipulation génétique, les changements de l’adolescence (Joe, le seul vrai « mutant » du film), l’ostracisation de la différence (ici, l’employée dépressive, déclassée et moquée de tout le staff), le diktat du bonheur et les rapports (amoureux ou non) au sein de l’entreprise.
Mais finalement, si monstre végétal il n’y avait pas ?
A mon sens, et contrairement à la plupart des commentaires qui le prennent au pied de la lettre, Little Joe, dont la fleur maléfique fait irrésistiblement penser à l’ipomée de La fleur de l’illusion de Keigo Higashino, traite des pouvoirs (délétères) de l’inconscient sur les croyances des humains et sa dernière image laisse le spectateur, comme dans Existentz (de David Cronenberg) ou dans Inception (de Christopher Nolan) dans une totale perplexité : et si TOUT était « dans la tête » ?