Concentré d’humour juif

Concentré d’humour juif

J’avais à peine débuté la lecture du Charlatan, d’Isaac Bashevis Singer (1902-1991), prix Nobel de littérature en 1978, que j’ai ressenti l’irrépressible besoin d’acquérir d’autres de ses romans. Funeste idée que de commander immédiatement sur le net, sans prendre le temps (pourtant si plaisant) de flâner parmi les volumes et les odeurs d’encre d’une librairie et sans prendre garde surtout au nombre de pages de l’ouvrage convoité, dont seule la couverture apparait sur l’alléchante vitrine numérique.

Je me retrouve avec « Le beau Monsieur de Cracovie et autres nouvelles », un pavé, que dis-je, un promontoire de 1440 pages. Heureusement, il semble en effet que ce sont des nouvelles, je vais me régaler.

Le charlatan est un juif polonais émigré à New York pendant la seconde guerre mondiale qui reste en filigrane de ce roman désopilant, dans lequel l’humour ashkenaze sublime la tragédie en fable burlesque. Homme qui aime passionnément les femmes, Hertz Minsker est un soit-disant professeur dont on n’a jamais vu l’ombre du diplôme, auteur d’un chef-d’œuvre jamais entraperçu qui fait penser à la broderie jamais terminée de Pénélope. Il passe ses journées dans les cafés à draguer les serveuses quand il n’est pas dans le lit de Minna, la femme de Morris (Moshe) Calisher, son meilleur ami, qui a fait fortune dans l’immobilier et dont il perçoit les largesses.

Dépressif, anxieux, angoissé, rongé par la culpabilité, avide de tendresse féminine, menteur jusqu’à la moelle, il fait feu de tout bois pour boucler les fin de mois et entretenir sa quatrième épouse qui elle-même est désespérée d’avoir abandonné un mari qui ne l’aimait pas et deux enfants dans la Pologne meurtrie de cette épouvantable époque.

Le roman est un concentré d’humour juif revigorant qui plonge dans la psyché de ces déracinés qui ont emporté avec eux un lambeau de leur Pologne natale et comme Singer parlent plus volontiers le Yiddish que l’américain. Sa lecture jubilatoire transmet le désir frénétique de courir rue des rosiers déguster amoureusement un strudel au pavot.

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