8 jours à Tanger
Posté le 10 Mai 2015
Tanger la blanche, Tanger la bleue.
Aucun de ces qualificatifs, plus appropriés à la belle Alger pour le premier, au frétillant Sidi Bou Saïd pour le second, ne me convient exactement. Architecture du sud : murs éclatants, blanchis à la chaux, qui contrastent avec les eaux profondément bleues quand un ciel sans nuages dispense la lumière éblouissante qui rend ces pays si aimables. Mais si Tanger peut être bleue, elle peut être aussi jaune, et verte, et surtout rouge, lorsque certaines murailles se couvrent d’un ocre qui jouxte à l’écarlate. Contempler Tanger, c’est admirer un kaléidoscope architectural, une mosaïque de polygones juxtaposés qui, de l’arc de sa baie, montent à l’assaut des collines sous le ciel outremer.
Tanger qui séduisit Delacroix et Matisse, Tanger emplie de joie, des couleurs chaudes et bienveillantes de cette partie méridionale de la méditerranée, une Tanger optimiste, euphorisante et frémissante, renaissant de ses cendres.
Mais, tournée vers un avenir résolument retentissant du grondement des bulldozers et des camions énormes, dans les travaux pharaoniques de réaménagement du port, c’est aussi la ville qui ne parvient à décider d’un futur incertain, inquiète de ses amours passées et des oracles d’une époque moderne coincée entre blanchiment d’argent, fortunes colossales, luttes de clans et tumulte mondialisé.
Ambigüité, c’est visiblement ce qui caractérise cette ville plongée dans l’éternel regret de son passé splendide, celui de la Tanger internationale de l’entre-deux-guerres, qui attirait des quatre coins de la terre, au bord d’une baie considérée naguère comme l’une des plus belles du monde, écrivains, commerçants, diplomates, banquiers et autres aventuriers.
Ambigüité face à Gibraltar, des eaux mêlées de l’océan et de mare nostrum, ambigüité des bleus du ciel et de la mer, entre bienveillance vis à vis du voyageur et hostilité envers le colon, entre argent facile et assoupissement, entre nostalgie des époques révolues et avenir que lui rêve son roi.
« Ici finit l’Afrique, ici commence l’Europe », me disait Karim, un casamançais, de ces déracinés que décrit Laurent Gaudé dans son roman « Eldorado« . Comme Samarcande évoque immanquablement la soie, Tanger, comme Djibouti, évoque le passage et la trace discrète des écrivains voyageurs. Ali, mon guide volubile, fait du moutonnement des vagues sous l’influence du Cherghi, ce vent d’orient, la marque incomparable de l’atmosphère de Tanger.
Ce sont des films qui m’ont fait rêver de Tanger, et y venir : tous jouent de l’ambivalence ; féérie, certes, celle des couleurs et des ambiances lumineuses, de cet inconsolable désir d’évasion qui pousse les humains à découvrir des terres inconnues, mais aussi inquiétude, disparition et renouveau, perte et transformation : écrivain camé du « festin nu » qui doit, pour échapper à l’interzone, sacrifier ce à quoi il tient le plus, amants désunis de « un thé au Sahara« , dont l’une devra perdre l’autre pour se découvrir elle-même, vampires assagis de « Only lovers left alone« , que Tanger contraindra à donner libre cours à leur insatiable soif.