Irrespirable

 On se demande où l’air est devenu le plus irrespirable. A Pékin, submergé sous 
 l’ « airpocalypse » ou en France quand un votant sur trois vient de se prononcer en faveur du FN ?
 A y regarder de près, ce sont les hommes les plus jeunes, les moins éduqués  et surtout les moins rétribués ou les plus au chômage qui ont voté  Front National. On pourrait faire le parallèle (en plein scandale de la  FIFA) avec les amateurs de foot qui vont acquérir  des billets hors de  prix pour regarder jouer « les bleus » : ce sont des chômeurs et des  smicards qui payent des millionnaires… Le FN, dont les plus jeunes,  épargnés par les souvenirs méphitiques de la dernière guerre et de la  guerre d’Algérie sont les prosélytes, veulent croire les discours de  Marine Le Pen qui prétend que les déboires des français viennent de  l’état social (mais Nicolas Sarkozy  qui veut remettre les « assistés » au travail n’est dans le fond pas  très différent) et des immigrés. La réalité, c’est que par exemple à  Paris, les achats étrangers ne rendent compte que de 3% de  l’augmentation vertigineuses des prix, ce qui veut dire que ce sont des  français qui tirent les prix vers le haut (Piketty P 742). 
 La vraie fracture, que la France d’en bas ignore et que celle d’en haut camoufle, c’est que les richesses,  en France moins qu’en Amérique certes, mais dans une proportion quand  même très significative, ne sont pas distribuées aux étrangers et aux  chômeurs, mais sont confisquées par les P10 (les 10% les plus riches qui  cumulent 60% de la richesse patrimoniale française) et surtout les P1  (les 1% qui possèdent un quart de la richesse nationale). 
 Je doute que l’éviction des étrangers change grand-chose au taux de  chômage en France ni n’enrichisse ces 50% de français qui possèdent  moins de 5% de la richesse de notre (encore) beau pays. De même, faire  sécession d’avec cette Europe si dure à bâtir sur les ruines des deux  guerres mondiales, n’améliorera ni la sécurité ni la richesse de la  France.
 C’est par désespoir, colère mais surtout par peur (fear is the mother of violence) que cette France fragilisée, ou plutôt abandonnée des élites et des promesses, se jette dans un pacte faustien. Attention, quand le FN, comme nos autres gouvernants, aura échoué, Méphisto reviendra réclamer son dû. 
 Piketty fait pourtant la démonstration lumineuse que la seule barrière contre l’accumulation ad nauseam   des richesses est le retour à une fiscalité qui n’a pas été inventée  par le parti communiste, mais par Roosevelt qui, dans la crise des  années 30, avait décrété une tranche marginale d’imposition  confiscatoire : 80% sur les bénéfices les plus élevés. C’est ce qu’avait  promis François Hollande (75% sur la tranche supérieure à 1 million  d’euros). C’est en ce sens que la France du bas peut se sentir trahie,  et par Sarkozy (dont les conférences se rémunèrent en centaines de  milliers d’euros) qui avait promis d’en finir avec les paradis fiscaux  et par la gauche qui a certes fait de timides progrès dans le  plafonnement des loyers, ou le développement de logements sociaux, mais  qui reste très en dessous de ce que précisément, ces jeunes hommes sans  avenir auraient pu espérer. Or, Piketty (toujours lui !) montre comment  les rémunérations stratosphériques des dirigeants ont pris leur essor  avec la diminution de la tranche marginale d’imposition et non, comme on  cherche à nous le faire croire, par une mise en concurrence des plus  méritants. Les parachutes dorés ne récompensent pas les meilleurs  gestionnaires, mais les meilleurs négociateurs de leurs intérêts  propres.
 Jusqu’en 1910 dans le monde, le taux d’imposition du capital était  proche de zéro (1-2% pendant la révolution, approchant de 10% en 1910,  « Pik » page 757). A partir des années 50, et devant l’ampleur de la ruine  mondiale, il s’était établi aux alentours de 30%. Le problème actuel  est bien entendu la concurrence fiscale entre les états (dont les fameux  paradis fiscaux). La part des prélèvements par rapport au revenu  national est actuellement de 55% en Suède, 50% en France, 40% au Royaume  Uni et seulement 30% aux USA. Or, cette moitié en France n’est pas  volée aux contribuables : elle a permis, après la guerre, la création  d’un état social. Éducation, santé, retraites, routes… Il n’est qu’à  comparer ce que nous offre notre pays avec les autres états occidentaux  pour en prendre conscience. Allez rouler (sans limites de vitesse) sur  les autoroutes allemandes, ou vous faire soigner à New-York, vous  comprendrez la différence. Quant aux minima sociaux, n’en déplaise à M  Sarkozy, ils ne représentent que 1% du revenu national (Pik p 764). 
 Depuis les années 70, quand le pétrole tant convoité que les nations  occidentales se procuraient pour presque rien, est devenu subitement une  denrée chère, on nous rebat les oreilles avec la crise.  La vérité est que nos pays sont immensément riches (mais de moins en  moins égalitaires). Les ménages européens possèdent 70 milliards d’euros  (Pik p 741). Les fonds de pension – qui nous font si peur – ne  représentent que 1,5% de la richesse mondiale, les milliardaires  également 1,5%. En revanche, le risque de divergence oligarchique est  réel : véritable « énergie noire  », au moins 10% des capitaux mondiaux sont subtilisés dans les paradis  fiscaux (Pik p 746). La vraie menace, c’est la perte de souveraineté  démocratique quand il est devenu impossible pour un gouvernement isolé  de réguler, ou d’imposer une concurrence fiscale. La sortie de l’Europe  que prône le FN affaiblira encore davantage la possibilité de contrôler  cet argent fou.
 Ainsi, Pékin étouffant sous l’oxyde azoté  pendant la COP21 (un message d’en haut ?), Platini se débattant dans le  scandale de la FIFA, Donald Trump (« trompe » ?) qui appelle au  refoulement des musulmans hors de la terre d’accueil américaine,  l’émergence d’un terrorisme mondialisé par un califat islamique financé  par l’or noir et le vote massif Front National ne peuvent être considérés comme des entités totalement déconnectées. 
 Piketty veut croire en une régulation mondiale (qu’on pourrait nommer «  égalité » peut-être ?) de la répartition des richesses, au travers d’un  impôt progressif et coopératif sur le patrimoine. La paix et la justice,  n’en déplaise aux va-t-en guerre de tout poil, ne s’instaurera dans un  monde futur pas si utopique que cela si on compare notre époque  relativement bénie aux génocides habituels des derniers millénaires,  qu’avec une répartition honorable des biens d’une planète qui appartient  à tous les hommes (ou à personne en particulier) et dont nous ne sommes  jamais, pour une période assez brève somme toute, que locataires. 
