Naufrages

Posté le 25 Avril 2015
Akira Yoshimura  décrit le quotidien d’un village de pêcheurs, isolé au fin fond d’une  côte japonaise, où la misère est telle que les habitants, pour nourrir  leur famille, sont contraints de se vendre comme ouvriers ou servantes,  pendant des mois, parfois des années. La vie y est rythmée par le cycle  des saisons,  le flamboiement des feuilles d’automne qui s’annonce par  un éclat écarlate sur la cime d’une montagne voisine, le retour des  encornets, puis des poulpes, des maquereaux… La vie, la mort, l’amour  sont mêlées intimement aux rites inspirés par les contraintes imposées  par la température et les caprices de la mer. 
 Derrière ce tableau bucolique s’en profile un autre, bien plus  inquiétant : la famine menace tellement les pêcheurs qu’ils se sont fait  pour survivre, depuis des générations, naufrageurs.  Les nuits d’hiver, ils entretiennent sur la plage des feux dans le but  d’égarer les bateaux dans la tempête, et de se repaitre impitoyablement  de leurs restes. 
 On est proche de la violence de la ballade de Narayama, d’Imamura, dans l’étude entomologique des ces réprouvés, criminels presque malgré eux. Kenji Nakagami  a décrit tout au long de son œuvre (le cap, Mille ans de plaisir) les  burakumin, une de ces castes de parias, dont il était lui même issu.
 Mais la malédiction punira in fine ces pêcheurs en s’introduisant dans leur vie par l’intermédiaire de leur péché même, sous la forme terrible du spectre de la mort rouge, évoqué jadis par Edgar Allen Poe, de l’homophone duquel un autre écrivain japonais, Edogawa Ranpo, fera son nom d’auteur.  
