Soumission

 En 2010, j’avais été désappointé par la nomination de Michel  Houellebecq au Goncourt pour La carte et le territoire. Ca donnait  l’impression d’un prix de rattrapage, un peu comme l’Oscar d’honneur  attribué in extremis à un Raymond Poulidor du prix littéraire. 
 Les particules élémentaires, qui révélait à la fois l’écrivain et le  futur Houellebecq était, en sa noirceur, dans la fibre de l’Etranger ;  Plateforme, qui confirmait les obsessions sexuelles d’un monde  désacralisé où l’individualisme met à nu l’angoisse existentielle était  jouissif par cet humour désabusé, un peu british et d’autodérision qui  fait l’agrément du sarcasme houellebecquien, et qui n’aurait sans doute  pas déplu à Brassens dans sa façon de tacler les bien-pensants et les  valeurs bourgeoises. Mais franchement, La carte et le territoire, comme  La possibilité d’une ile, d’ailleurs, ça m’avait laissé sur ma faim. Ca  donnait une impression de manque d’inspiration, de cul-de-sac et de  production commerciale, et l’écriture n’était pas à la hauteur d’un  Gaudé, d’un Ferrari  ou d’un Lemaitre.
 Avec Soumission, Houellebecq se qualifie. Rattrapage pour rattrapage,  son roman politico-sociétal est remarquablement écrit et condense cet  humour caractéristique et ce nihilisme qu’on peut détester, mais qui  livre une vision crue, certes désillusionnée et machiste, d’une société  française en proie au doute et à la remise en question. En cette période  pré-électorale, force est d’observer à quel point Houellebecq a été,  avec sept ans d’avance, un Cassandre avisé. Mise à part la fiction de  l’accession au pouvoir d’un parti islamiste modéré rêvant de  reconstituer les limites de l’empire romain, l’équilibre actuel des  partis politiques avait été magistralement anticipé.
 Jusqu’à la dernière ligne on se demande si le narrateur (plus  houellebecquien et autobiographique que jamais) va réagir, quitte à se  condamner socialement, comme Thomas dans L’insoutenable légèreté de  l’être ou, non pas se soumettre, mais définitivement capituler, non  seulement devant le chantage social revêtu des atours de la beauté du  diable, mais surtout devant l’avancée inexorable de l’âge et de la  décrépitude. 
 Soumission pourrait évoquer la phrase de René Char « la lucidité est la  blessure la plus proche du soleil » si le machisme totalitaire qui en  fait la trame ne révélait en creux l’absence de l’avenir de l’homme : la  femme, donneuse de sens, juive, échappée, disparue vers une  hypothétique terre promise.
 Image : Americ Gothic par  AI
